Je suis une enfant chinoise de la ville, née à Tianjin et grandie à Chengdu ; ma vie a été celle d’une citadine, jusqu’à ce que je vive deux expériences qui m’ont profondément transformée et qui ont établi mon lien avec les plantes et la nature.
Première ouverture : la permaculture
La première expérience a été le cours certifié de permaculture (Permaculture Design Course, ou PDC) que j’ai suivi en Thaïlande ; 13 jours inoubliables passés dans la forêt tropicale, où j’ai réalisé que la permaculture puisait son efficacité autant dans les savoirs contemporains de la science que dans la sagesse des peuples premiers, eux qui n’ont jamais rompu le lien avec la nature car ils ont toujours vécu comme étant partie de la nature. À l’issue de ce stage, j’ai décidé de consacrer le reste de ma vie à l’écologie et l’éducation, et pour cela d’introduire les principes de la permaculture dans mon pays natal.
Deuxième ouverture : les classiques chinois
À mon retour en Chine, j’ai compris que je devais retrouver mes racines en allant à la rencontre de mes ancêtres, qui ont eux aussi élaboré des savoirs très profonds en relation avec la nature. Ma deuxième expérience a débuté alors, lorsque j’ai commencé à étudier la médecine traditionnelle chinoise auprès d’un maître exerçant à Chengdu. Celui-ci m’a confié deux tâches. D’une part, étudier trois livres fondamentaux : le Yi Jing (易經, yì jīng), un manuel chinois dont le titre peut se traduire par Classique des changements ou Traité canonique des mutations ou encore Livre des transformations ; le Huangdi Nei Jing ou Classique interne de l’empereur Jaune (黃帝內經, Huángdì Nèijīng), le plus ancien ouvrage de médecine traditionnelle chinoise ; et le Shennong bencao jing ou Classique de la matière médicale du Laboureur Céleste (神農本草經, Shénnóng běncǎo jīng), qu’il m’a demandé de mémoriser. D’autre part, observer et préparer les ingrédients utilisés dans son cabinet, tous issus de la nature – végétaux, animaux et minéraux.
Ce que j’ai retiré de l’apprentissage avec ce maître, c’est que l’esprit de la médecine traditionnelle chinoise est, avant tout, d’établir une relation équilibrée et harmonieuse entre soi et la nature autour de soi. Il m’a enseigné à distinguer le médecin ordinaire, qui rédige des ordonnances en jouant des ingrédients à sa disposition, du bon médecin, qui a au préalable créé une connexion intime avec chacun des ingrédients de son officine. Cette connexion implique la maîtrise de l’ingrédient végétal lors de la cueillette, durant les processus de préparation et lors de son emploi. Sans cette qualité de relation, les plantes, qui visent le soin du patient, ne sauraient remplir leur rôle.
Cheminement au cœur de la nature
Il m’arrive souvent, depuis que je pratique le design en permaculture, d’entendre parler de “mauvaises herbes”. À mon sens, il n’en existe pas ; c’est par ignorance de leurs bienfaits ou de leur rôle dans la nature que certains les nomment ainsi. Lorsque j’applique ma démarche de design dans un nouveau lieu, la première étape est toujours d’identifier et de valoriser les plantes sauvages qui y sont présentes. Chaque fois, les personnes qui vivent là sont surprises de découvrir autant de plantes comestibles et médicinales dans leur jardin.
C’est pour mieux partager ces cadeaux de la nature, que j’ai imaginé et développé une activité artisanale de transformation des plantes sauvages en aliments, condiments et produits de bien-être. J’insuffle ainsi dans mes préparations la notion chinoise de bien-être 藥食同源 (yào shí tóng yuán) où aliment et médicament s’harmonisent.
Chacune de mes préparations ne peut atteindre cet équilibre délicat entre plaisir et bienfait que si je respecte pleinement la nature dans ses rythmes et dans ses cycles. Mon calendrier de référence est le calendrier agricole chinois (農曆 nónglì), qui prend en compte les relations entre le soleil, la terre et la lune. J’observe avec attention et j’interagis sans brutalité avec ce que la nature me présente, que ce soit lorsque je pratique la cueillette en forêt, le glanage ou les plantations permacoles.
Je porte en moi le respect de la nature et ce respect se manifeste à chaque étape de mon activité artisanale. Les cueillettes sont conduites au juste moment dans la saison avec le souci permanent de la qualité optimale. J’obtiens souvent de très petites quantités de produit car je veille à ne pas endommager la plante ni à perturber son écosystème. Je laisse toujours des individus de l’espèce récoltée pour que la plante se reproduise et puisse servir d’autres espèces, en accord avec la troisième éthique de la permaculture “partager équitablement”.
Lors des phases de transformation, je choisis les processus les mieux adaptés pour préserver tout autant les principes actifs des plantes que les saveurs et les parfums. Je travaille à la main, en très petits lots, pour conserver la maîtrise du processus de transformation et m’adapter à chaque variation que la nature ne manque de soumettre à mon observation.