Bonjour tous les amis de Tampopo,
Je souhaite tout d’abord un hiver serein (冬安 dōng ān) à tous les amis de Tampopo, les anciens comme les nouveaux rencontrés depuis le début du printemps.
Les habitués de cette infolettre le savent, le calendrier solaire est une référence importante dans mes études de médecine traditionnelle chinoise (MTC). Il est divisé en vingt-quatre périodes ou termes solaires (節氣 jié qì), termes que j’ai décrits dans différentes infolettres de 2022-2023 (vous pouvez les retrouver ici : Infolettre).
Le 21 décembre 2024 à 10 h 19, heure française, le soleil a atteint 270° de longitude écliptique. C’est l’entrée dans 冬至 (dōngzhì, le solstice d’hiver), le vingt-deuxième des vingt-quatre termes solaires. C’est un moment important dans beaucoup de cultures tout au long de l’histoire humaine. Au moment du solstice d’hiver, le soleil brille directement au-dessus du tropique du Capricorne. Dans l’hémisphère nord, c’est le jour le plus court de l’année, où le soleil de midi est le plus bas sur l’horizon. Il correspond au début de l’hiver dans la culture occidentale, la culture française en particulier.
Le solstice d’hiver, moment de bascule de l’énergie
Dans la culture chinoise, l’hiver débute lorsque le soleil atteint 225° de longitude écliptique lors du terme solaire 立冬 (lìdōng, établissement de l’hiver). Cette année, c’était le 7 novembre. Il se termine lorsque le soleil atteint 315° de longitude écliptique, lors du terme solaire 立春 (lìchūn, établissement du printemps). Ce sera le 3 février 2025. Dans la sphère culturelle chinoise, le solstice se situe donc juste au milieu de l’hiver. En MTC, c’est un moment de bascule de l’énergie : le 陰氣 (yīn qì) atteint son maximum au solstice d’hiver et va décroître ; le 陽氣 (yáng qì) passe par son minimum et commence à croître jusqu’à atteindre son maximum au prochain solstice d’été.
La nature évolue en accord avec la position du soleil, ce qui affecte en particulier les humains. Aussi, quel est le 氣 (qì, énergie) de l’hiver ? Comment l’intégrons-nous et l’associons-nous à notre bien-être ?
Le poème « 江雪 » (Jiāng xuě, Neige sur la rivière) de Liǔ Zōngyuán (柳宗元, 773-819, dynastie Tang) aide à saisir ce qì de l’hiver.
Ce poème a été traduit ainsi par 许渊冲 (Xǔ Yuānchōng, 1921-2021) :
Nul vol d’oiseaux n’est vu en haut,
Ni trace d’homme sur la terre.
Un seul vieillard dans un bateau
Pêche la neige à la rivière.
La recherche étymologique sur le caractère 冬 (dōng, hiver) dans le 說文解字 (Shuōwén Jiězì, le premier dictionnaire de caractères chinois datant du IIe siècle de notre ère) aide à mieux saisir cet élément de la pensée chinoise.
À gauche, c’est le caractère dōng tel qu’il était gravé, environ 2 000 ans avant notre ère. Il se compose des deux parties 夂 (zhōng, finir ou terminer) et 日 (rì, soleil). Le signe décrit le soleil (le cercle avec un point au centre) pris dans une boucle de corde fermée par une ligne droite : il montre le soleil qui se cache en hiver.
À droite, c’est le caractère dōng tel qu’il était gravé sur les sceaux ou la pierre à partir de IIIe siècle avant notre ère. Il se compose aussi de deux parties : 夂 (zhōng) et 仌 (bīng, le gel, la glace). Ensemble, ils mettent bien en évidence les caractéristiques saisonnières de la fin d’année.
Un cycle qui se termine, c’est aussi la préparation du prochain cycle. C’est la période durant laquelle la nature au repos reconstruit ses réserves. Le froid extérieur enferme l’énergie de croissance à l’intérieur des vivants ; 冬藏 (dōng cáng, l’entreposage hivernal) prépare la repousse du printemps.
La période hivernale est décrite comme suit dans le 黃帝內經 (Huángdì Nèi Jīng ou Classique interne de l’Empereur Jaune), le plus ancien ouvrage de médecine traditionnelle chinoise compilé entre le IVe siècle avant notre ère et le IIe siècle de notre ère.
« 冬三月,此謂閉藏。水冰地坼,無擾乎陽,早臥晚起,必待日光,使志若伏若匿,若有私意,若已有得,去寒就溫,無泄皮膚,使氣亟奪,此冬氣之應,養藏之道也。逆之則傷腎,春為痿厥,奉生者少。 »
Je vous livre ci-dessous mon interprétation de ce texte, nourrie de mon expérience, pour vous servir d’inspiration.
Les vivants se cachent et s’enferment durant les trois mois de l’hiver pour protéger et nourrir leur vitalité. Tandis que le froid provoque le gel des rivières et fissure le sol, il est essentiel de ne pas déranger le yáng qì. Celui-ci est comme les braises d’un tout petit feu, dont la flamme attend de pouvoir jaillir – c’est le mouvement de bascule de l’énergie évoqué plus haut.
L’animal humain, pour se conformer à ce mouvement de l’énergie de la nature, doit prendre soin de son sommeil en se couchant tôt et en se levant tard en suivant le coucher et le lever du soleil. C’est seulement en se levant après le soleil qu’il est possible de profiter du yáng qì.
Cette période est propice pour cultiver un esprit serein et restreindre son ambition ; de tester ses idées et élaborer ses projets dans son esprit en gardant le cœur plein et satisfait, comme un pot-au-feu que l’on laisse longuement mijoter sur un feu doux.
Il importe tout au long de l’hiver de bien se protéger du froid et de garder le corps au chaud. Il importe aussi de ne pas exposer la peau et de ne pas trop transpirer, ce qui épuise l’énergie Yang. Lorsque l’on doit s’activer dehors ou que l’on exerce un métier physique, il est essentiel de bien se couvrir – le cou et la poitrine tout particulièrement – et de consommer une boisson chaude en petite quantité et régulièrement.
Tout ce qui précède explicite l’idée de se « cacher en hiver »
Si l’esprit et le savoir-être de la personne ne s’attachent pas au principe de “nourrir la vie en hiver”, le 腎氣 (shèn qì, Qi du rein) sera épuisé. Le printemps revenu, cette personne sentira ses membres faibles et comme flétris ; elle manquera de vigueur et d’énergie. Tout cela découlera du fait que les réserves n’auront pas été suffisamment reconstituées durant l’hiver, que l’énergie vitale manquera et qu’elle ne pourra pas se déployer au printemps.
Le bien-être en hiver passe par nourrir en priorité le shèn qì. Aussi, ne travaillez pas de manière épuisante et veillez à entretenir l’essence du Rein. Prendre soin de ses reins améliore la capacité à résister au froid, contribue à l’immunité et à la résistance aux maladies, retardant le vieillissement.
La diététique en MTC se fonde, entre autres, sur les cinq groupes goûts – acide, amer, sucré, piquant, salé – et leur rapport avec les cinq groupes d’organes. Je vais ici vous présenter ceux associés au rein, pour bien nourrir le shèn qì, comme j’avais présenté ceux liés au foie dans ma lettre Nouvelles printanières de l’année du Dragon.
Chaque groupe de goûts correspond à un groupe d’organes et, à travers lui, en affecte deux autres. Chaque goût doit être harmonisée avec les autres pour atteindre un équilibre. Et pour établir cette harmonie, il s’agit d’équilibrer les effets de “nourrir”, “purger”, “renforcer” et “diminuer” chacun des groupes d’organes.
Par exemple, le goût amer peut nourrir Rein / Vessie, purger le feu du Cœur, diminuer l’humidité et pénétrer dans Rate / Estomac. Afin d’éviter les dommages qu’un excès d’amertume pourrait causer au cœur, le goût salé est utilisé pour protéger et reconstituer son Qi et en même temps hydrater le Rein.
En hiver, lorsque vous mangez des fruits à coque comme les noix, qui tonifient le Rein, vous pouvez les agrémenter d’un peu de sel pour simultanément nourrir le Rein et tonifier le Qi du Cœur.
Le groupe de goûts sucré, doux ou fade peut nourrir Rate / Estomac ; mais trop de ces goûts peuvent endommager Rein / Vessie. Ainsi, les personnes qui boivent beaucoup d’eau urinent fréquemment. Non seulement l’eau qu’elles consomment ne peut pas intégralement se transformer en fluides corporels mais en plus, plus elles boivent plus elles ont envie de boire.
Ajouter à l’eau quelques feuilles de thé, pour son amertume, permet de nourrir le Rein et de purger le feu du Cœur. Celles et ceux qui boivent régulièrement du thé perçoivent un goût sucré après le goût amer et sentent la salive produite par la bouche.
Pour résumer, l’équilibrage du fonctionnement des groupes d’organes Rein / Vessie, Cœur / Intestin grêle et Rate / Pancréas / Estomac passe par l’harmonisation des groupes de goûts amer, sucré et salé.
La MTC considère que les aliments de couleur noir – riz noir, haricot noir, sésame noir, champignon noir, mûre… – nourrissent le Rein. L’hiver est une saison propice à la consommation de diverses racines comme les radis, patates douces, ignames, etc. Mieux vaut les cuisiner en soupe ou les cuire à la vapeur plutôt que les manger crues ou froides.
Nous respectons la notion de bien-être 藥食同源 (yào shí tóng yuán, nourriture et médicaments proviennent de la même source) dans nombre de nos préparations. Ainsi la Série noire, à base de sésame noir, le confit solaire de gingembre ou les kumquats confits visent-ils à entretenir notre sérénité hivernale et la prévention des maux d’hiver.
Je vous souhaite une belle fin d’année avec les êtres qui vous sont proches et chers et vous offre mes vœux de bonne santé pour 2025.